La rencontre, je parle de la rencontre vraie – j’en ai déjà dit quelque chose ici, mon alter ego de L’hiver en Bretagne aussi – celle qui évacue, comme un coup de vent, les nuages des arrière-pensées, les calculs qui handicapent la vie sous le prétexte de la protéger, cette rencontre est celle que permet l’esprit de problématique en ce sens qu’il rejoint l’infini de l’éternité du monde.
De ce point de vue, l’objet n’a pas d’importance essentielle en ce sens qu’il n’existe que dans un système de rapports et les rapports, c’est ce qui intéresse la problématique. C’est le choix de la construction de problématiques qui définit la rencontre vraie.
La question qui vient tout de suite après, est celle de l’objectif plus ou moins implicite, autrement dit ce qui sous-tend cet esprit de problématique. Quand je dis qu’elle vient tout de suite après, c’est parce que le langage est linéaire – un mot après l’autre – , mais dans le réel, la distinction n’existe pas : construire des problématiques n’est pas une décision qui se prend comme ça, là, un beau matin : tiens, qu’est-ce que je pourrais faire aujourd’hui ? Ah, et si je construisais des problématiques ? – Comme l’enfant décide de construire une machine avec son meccano.
La construction de problématiques est intrinsèque d’un choix de vivre dans un rapport d’harmonie avec la vie de l’univers qui, on le découvre de plus en plus et de mieux en mieux tous les jours, n’est que suite d’interactions, de mouvements, de combinaisons et de recombinaisons, hallucinantes pour nous, et sans fin.
Ce qui conduit à faire ou ne pas faire ce choix ? Tout au fond, je dirais les peurs et l’angoisse plus ou moins affrontées. J’ai toujours à prendre la décision : qu’est-ce que je fais de mes peurs et de mon angoisse ?
En même temps que le type de rencontre, la place du curseur détermine le champ philosophique. Je fais de la philosophie, je pratique la philosophie, pour quoi ? Même question si je dis la refuser parce que son refus est un choix de type philosophique.
Sur la peinture (Editions de Minuit), ( le livre m’a été offert… le choix d’un cadeau dit beaucoup) est la transcription du cours que Gilles Deleuze (1925-1995) donna entre mars et juin 1981 à l’université de Vincennes-Saint-Denis (l’université expérimentale construite dans le bois de Vincennes après mai 1968 avait été rasée en deux jours sur ordre de la ministre Alice Saunier-Séité – gouvernement de Jacques Chirac – en 1979).
Si vous vous demandez ce qu’est la peinture – j’entends celle qui produit les œuvres qui traversent les siècles – dans sa production et sa contemplation, je vous conseille vivement ce livre. Il n’est pas d’un abord facile, comme tout explication, mais si vous acceptez de vous laisser porter par le courant, sans tenter de lutter contre, vous verrez peu à peu s’allumer les lumières du port.
Le point de départ est le chaos, un effondrement d’où émergera la couleur. Autrement dit l’expression esthétique du rapport entre un homme confronté de manière aiguë, violente, par ses sens et sa pensée au sens de son existence, et le monde extérieur, un homme qui tente par son œil et ses mains, « non de rendre le visible mais de rendre visible » (une définition de Paul Klee).
Et nous, nous nous plantons devant un tableau, entre autres, de Van Gogh ou Klee ou Cézanne, et nous ne savons pas pourquoi nous restons scotchés.
Deleuze ne donne aucune solution du genre « peinture mode d’emploi ». Il explique ce qui, chez le peintre, est mis en mouvement pour faire émerger ce qui donne le tableau qui, et quel qu’il soit, n’est jamais autre chose qu’une abstraction.
Lire ce livre, plus exactement écouter ce cours (c’est vrai de tous les autres, en particulier celui sur Spinoza) – l’expression orale a été conservée… on peut l’entendre sur YouTube – permet d’envoyer promener les étiquettes et les catégories pour retrouver, pendant et à la fin du parcours, ce que je disais au début : la problématique de l’homme en tant que conscience spécifique.