Comme ça, l’intitulé ressemble à un titre de roman fantastique. Parce que vous vous dites, avec vos mots à vous, « dans la vie réelle, ça se peut pas ». Seulement, il ne faudrait pas oublier que la vie réelle c’est aussi ce qui se passe dans la tête. Et ce qu’on se dit dans sa tête, ça se peut et ça ne se voit pas. Vous allez m’objecter « Eh, ho, dites donc, vous, là ! Les psychiatres, est-ce qu’ils ne voient pas ce que vous remuez dans votre tête ? Non mais, quand même ! »
Oui. Je ne suis pas psychiatre mais….
Ah, là, je discerne ce que vous êtes en train de vous dire dans la vôtre, de tête, et avec une esquisse de petit sourire gêné « Qu’est-ce qu’il est en train de nous raconter ? Est-ce qu’il serait pas en train de tourner grave ? » . « Tourner », dans le sens du lait devenu imbuvable, et « grave », dans celui d’aujourd’hui qui, entre parenthèses professorales, est très proche de celui du premier sens du mot latin gravis, pesant, lourd (et aussi dans le sens élargi de lourdingue, si vous voyez – Oui, j’allais oublier, vous avez raison de me le rappeler, on devrait apprendre le latin).
Ben non. Non, je ne tourne pas grave. J’ai parfois des irritations, surtout quand des opinions sont présentées comme des idées par des gens qui se servent de leur titre pour faire croire qu’il s’agit d’un savoir. Prenez le temps de relire la phrase tranquillement.
Ce qui est le cas de ce matin, samedi. Je vous mets en situation : je me lève, vais dans la cuisine, appuie sur le bouton de la cafetière (eh oui, j’ai expliqué dans un journal précédent que je la préparais le soir !) avant de me diriger vers la salle de douche – comme ça, le café passe quand je la prends (la douche) , ce qui est très pratique si on a envie de boire du café juste après la douche, sinon ce n’est pas la peine –, et, passant à côté de mon smartphone qui a chargé pendant la nuit, j’entends le ding d’un message. Je regarde : tiens, me dis-je non sans une certaine jubilation, c’est le Monde des idées (pas des opinions, notez bien) qui m’envoie un courrier ! Je pose mon doigt pour ouvrir et que lis-je ? Ce titre d’une tribune signée de deux psychiatres : « L’aide à mourir ne doit pas être laissée à la seule appréciation du patient. » Et voilà comment ça commence mal ! Vous vous levez, l’esprit en paix et… Cela dit, l’eau sur la tête, ça calme et, comme le dit je ne sais plus quel philosophe, le calme est à la pensée ce que le beurre est aux épinards. Pierre Dac, peut-être.
Surtout – je parle de l’irritation – quand je lis, juste un peu plus bas : « Le suicide, en effet, n’est pas une décision rationnelle et librement choisie : l’acte suicidaire est une réponse désespérée à une douleur psychologique insupportable. »
Tout en buvant mon café – il est passé, depuis le temps, pensez ! – en l’accompagnant de pain légèrement grillé et beurré (on dira ce qu’on voudra, le beurre sur le pain, et pas seulement dans les épinards, c’est quelque chose ! surtout avec du café), et tout en écoutant d’une oreille un dialogue intéressant sur France Culture à propos de la notion de transfuge de classe revendiquée par certains écrivains – peut-être que j’y reviendrai – je concocte dans ma tête la réponse que j’écoute avec l’autre oreille et que voici :
« Madame et Monsieur les psychiatres. En regard de l’infinie diversité des situations, affirmer « Le suicide, en effet, n’est pas une décision rationnelle et librement choisie » suffit à éliminer la dimension du savoir auquel renvoient vos titres professionnels. Pour m’en tenir à la notion de choix, vous semblez oublier le renoncement qui lui est inhérent avec ses affects associés. Si vous cherchez bien, vous trouverez quelqu’un qui a choisi de renoncer à sa vie parce qu’elle a cessé d’être « vivable » selon ses propres critères, décisifs parce qu’ils sont les siens (entre autres, Mireille Jospin-Dandieu). Faire de « la prévention du suicide une priorité » participe de la même idéologie d’une rationalité pure qui n’existe nulle part sinon dans les théories. Le choix du suicide n’est pas réductible à ce qui impliquerait une « lutte contre les idées suicidaires », un autre simplisme qui fait de votre tribune une simple opinion. »
Je l’ai envoyée au Monde des idées qui l’a publiée.
Vous voyez, je ne tourne pas grave, j’utilise les outils que je peux pour ne pas tourner en bourrique.
Et, au fait, le retour du suicidé-assisté?
C’est que, dans le discours de ceux qui s’arcboutent pour résister au droit à l’euthanasie, il y a quelque chose comme la peur du retour du suicidé-assisté qui viendrait dire : ben non, tout compte-fait, j’aurais préféré pas.