Le Monde (27/03/2021) propose un article intitulé « Le chaos ou la réhabilitation d’un concept aussi destructeur que libérateur » où il est expliqué que « des penseurs invitent à retrouver le sens premier et positif de ce concept qui trouve racine dans la mythologie grecque ».
L’un d’eux – Raphaël Liogier – oppose les potentialités du Chaos originel à la société moderne : « « Nos institutions ont perdu le sens de la transcendance. Elles ne se justifient plus que par elles-mêmes, et non plus en vertu d’un horizon qui les dépasse. Or, sans la transcendance, les moyens deviennent des fins, on cherche l’ordre pour l’ordre, l’argent pour l’argent… »
L’article précise : « Dans le langage courant, « chaos » est en effet synonyme de confusion, de désordre, voire de cataclysme (…) Dans la Théogonie d’Hésiode (VIIIe siècle avant notre ère), qui va irriguer toute la pensée grecque, Khaos désigne en effet l’état primordial de l’univers, une béance infinie et créatrice, un abîme préexistant aux dieux eux-mêmes. De ce Chaos neutre – ni bon ni mauvais – vont naître Gaïa, « Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants », puis Eros, le Désir, « le plus beau parmi les dieux immortels ». Et de ces premières divinités naîtront toutes les autres, jusqu’à ce qu’advienne, au bout d’un violent affrontement entre les divinités archaïques, le règne de Zeus : le cosmos, l’univers organisé, hiérarchisé, où chaque puissance cosmique doit tenir son rôle. »
Ma contribution :
Dans la Théogonie, Chaos est l’équivalent d’un « on ne sait pas », donc radicalement différent du « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Genèse), en ce sens que pour les Grecs, les dieux sont créés, alors que pour les adeptes de la Bible, Dieu est le créateur. Pour les sociétés qui construisent ces schémas, la distinction entre le sacré du profane n’existe pas et la « première » pensée matérialiste (Epicure, notamment – 4èmesiècle avant notre ère) s’en accommode en cloîtrant les dieux dans un espace coupé des humains. Les églises dénatureront la pensée du philosophe dont elles feront un jouisseur et réduiront la philosophie matérialiste à l’intérêt pour les seuls objets matériels. Un discours qui a encore une certaine audience. Le chaos d’aujourd’hui pourrait bien être la persistance du déni de la mort telle qu’elle est et qu’exprime l’assertion « la mort, on ne sait pas », contradictoire avec le « on ne sait pas » du Chaos de la Théogonie.