On* se lève, on tire les rideaux, le ciel est dégagé, lumineux, on appuie sur le bouton de la cafetière puis sur celui du poste de radio et qu’est-ce qu’on entend ?
[*Je n’aime pas ce « on » indéfini qui sert à se défiler (dans la critique, littéraire notamment, dans le genre : « On est séduit par l’écriture… » ) mais là, pour une fois, oui, parce qu’il peut servir aussi à signifier un léger énervement. Et c’est le cas.]
« J’ai cru comprendre que la philosophie aidait à mourir, c’est vrai ça ? »
C’est l’animateur des Matins de France Culture qui, sur le ton d’une ironie gentiment provocante, pose cette question aux deux philosophes invités à parler de la proposition présidentielle de l’aide à mourir. Il y a le sous-entendu amusé : si c’était vrai, ça se saurait, non ?
L’énervement commence juste après. Ici.
Le premier, Frédéric Worms, professeur de philosophie contemporaine et directeur de l’ENS (Ecole Normale Supérieure), commence par assurer que la philosophie sert à lutter contre la mort : La philosophie doit aider les humains à lutter contre et admettre ce négatif [la mort] dans l’être et le refuser. Le refus de la mort donne son sens positif à la vie.
Le second, Jacques Ricot, chercheur associé (il n’est pas précisé à qui ou à quoi) et membre de l’association Jalmav ( = jusqu’à la mort accompagner la vie) – dit : La mort nous aide à mieux vivre notre existence, qui est une existence contre la mort. Quelqu’un qui passe son temps à craindre sa mort ou la manière dont il va mourir, ne peut plus vivre. Aujourd’hui je pense que notre société est hantée par les conditions du mourir, ce qui empêche de regarder précisément la mort en face.
D’abord, je ne pense pas, comme le premier, que la philosophie serve à « lutter contre la mort » ni que le « refus de la mort » ( ?) donne quelque sens que ce soit à quoi que ce soit.
Ensuite, mon accord avec le second se limite à la reconnaissance que la vie est la vie jusqu’à l’extrême bout de la vie (je l’ai expérimenté dans mon travail d’enseignement dans les services de pédiatrie) encore qu’il faille préciser les conditions de vie de cet extrême bout. Je ne sais pas ce que peut vouloir dire « la mort nous aide à vivre notre existence », ni ce qu’est « une existence contre la mort ».
Le premier trouve que la proposition présidentielle est juste et précise parce que l’aide à mourir n’a de sens que si tous les soins sont épuisés – pour lui, aider à mourir est contradictoire avec le soin, alors que la loi actuelle qui peut la produire indirectement n’est pas contradictoire – ce qui me semble être une hypocrisie. Il reproche donc à E. Macron de ne pas avoir utilisé les mots euthanasie et suicide assisté – lui est contre. Sa position manque de clarté.
Le second – hostile lui aussi – dit que la mort ne peut pas se « regarder en face » (expression du président qu’il reprenait pourtant à son compte). Les « conditions du mourir », oui, ce qui est autre chose. Pour lui, la proposition du président n’est pas d’aider « à bien vivre les derniers moments mais de faire mourir la personne ».
Pour m’en tenir à l’essentiel, aucun des deux ne distingue la mort en tant qu’objet de sa mort pour le sujet ce qui les conduit à patauger dans un discours fait de formules qui ne veulent pas dire grand-chose : « regarder la mort en face », par exemple qui ne précise pas de quelle mort on parle et qui permet ainsi de jouer avec les idées reçues et les peurs associées à une imagerie bien connue.
Les lecteurs du blog savent quelle est ma position sur cette question : il est ouvert à l’expression de tous les points de vue.
Quant aux chaines de télévision C8 et CNews : « Vincent Bolloré, le milliardaire et propriétaire du groupe Canal+, et son animateur star Cyril Hanouna sont entendus, mercredi et jeudi, dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire sur l’attribution des fréquences de la TNT. » (Le Monde – 14/03/2024 – qui précise que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a sanctionné à plusieurs reprises par des mises en garde les deux chaines et l’animateur.
Ma contribution :
Tout le monde, dont ceux qui vont être interrogés par la commission, sait de quoi il est question : des conditions dans lesquelles est diffusée l’idéologie d’extrême-droite, parce qu’elle n’a pas encore atteint le seuil au-delà duquel elle « ira de soi » et installera des commissions d’un autre genre. La comparaison avec les chaines du service public – accusées par certains contributeurs d’être partisanes, de gauche – est une illustration de la confusion qui existe au niveau politique et qui assimile le RN à un parti politique. Il s’agit seulement de savoir si nous sommes d’accord pour donner le pouvoir aux expressions – médiatiques, électorales – de la pathologie collective qui pousse au repli sur soi et au fantasme de l’identité nationale : le jour où ce discours sera devenu dominant, la guerre déterminera quelle identité doit faire prévaloir son « moi d’abord ! »