Hier, mercredi, en fin d’après-midi, cérémonie de « panthéonisation » de Missak et Mélinée Manouchian, quatre-vingts ans après les exécutions par fusillade au Mont-Valérien des 22 hommes du groupe FTP-MOI.
Pourquoi maintenant ?
Le « I » de MOI est l’initiale d’ immigrée (main d’œuvre immigrée).
Le gouvernement d’E. Macron a récemment fait voter une loi sur l’immigration dont M. Le Pen a dit qu’elle témoignait d’une victoire idéologique du RN (droit du sol, préférence nationale), et son président, J. Bardella, a annoncé la tenue à Marseille d’assises sur l’immigration, début mars. Les sondages donnent une large avance à la liste du RN (près de 10 points) sur celle de la liste Renaissance du président de la République pour les prochaines élections européennes de juin. La gauche est en miettes
J’ai regardé la cérémonie à la télévision.
Les deux cercueils étaient portés par des soldats de la légion étrangère à la démarche lente et sûre. Une « force tranquille » montant la rue Soufflot, sous une pluie battante. Au bout, le Panthéon, temple laïc néo-classique, illuminé de bleu-blanc-rouge.
Les moments où l’émotion fut la plus forte : la lecture des poèmes écrits par Manouchian, celle, par Patrick Bruel, de sa lettre à sa femme la veille de son exécution, l’interprétation par le groupe Feu ! Chatterton de L’affiche rouge (poème d’Aragon, mis en musique par L. Ferré) – le chanteur Arthur Teboul fut bouleversant – enfin l’interprétation par la violoncelliste Astrig Siranossian, du Grounk l’oiseau d’Arménie, quand les deux cercueils, portés par des membres de la Garde républicaine, franchirent les portes.
Pour finir, le discours d’E. Macron. En harmonie avec l’ensemble du décorum. Un lyrisme disons maîtrisé avec une recherche d’effets émotionnels par des procédés de style bien connus : notamment l’anaphore : « est-ce ainsi que les hommes vivent ? » (Aragon) devenant à la fin « est-ce ainsi que les hommes meurent ? ».
Pour moi, quelque chose de bancal, d’inadéquat quand je pense à ce qu’aurait pu être une cérémonie « autre ».
Les cercueils portés et les poèmes lus par des gens, sans uniforme, comme ceux du groupe, des immigrés.
Un discours qui construise la problématique de l’immigration – elle rejoint celle du « commun » qui sous-tendait l’engagement de Missak Manouchian – en mettant en parallèle celui des années 40 et celui d’aujourd’hui.
Rien, dans le discours présidentiel, pas un mot sur ce problème majeur qui n’en est donc pas un.
Des porteurs immigrés et la sollicitation de la pensée collective auraient sans doute évité un impensable : la présence de M. Le Pen qui, à elle seule, suffit à révéler que les propos universalistes du discours présidentiel ne sont qu’une littérature d’artefacts, l’exact inverse de celle de Missak Manouchian.