Vendredi 9 février – 13 h33 .
Le problème du journal – quel qu’il soit – c’est l’espace de temps entre son écriture et sa publication. Au moment de la publication il peut arriver que soit annoncé un événement dont la gravité rend très délicate la lecture de ce qui a été écrit avant – surtout si cet avant est d’une tout autre gravité.
C’est le cas.
J’ai commencé à écrire cette page vers 10 h 30 et je reprends après trois heures d’une interruption pendant laquelle a été annoncée la mort de Robert Badinter que j’apprends maintenant.
Alors, je publie ce que j’ai écrit avant ou je ne publie pas?
Ne pas publier, revient à subordonner le vivant – en l’occurrence l’écrit précédant la connaissance de l’événement – à la mort qui se verrait donc attribuer le droit de le supprimer.
Mais de quel droit ?
J’aurais très bien pu terminer mon article et le publier quelques minutes avant la connaissance de l’événement.
Je ne connais pas l’homme Robert Badinter, seulement l’avocat et le ministre de la Justice qu’il fut.
Alors, je publie, tel quel.
« A ceux qui posent la question : pourquoi moules et frites sont des mots qui vont si bien ensemble ? je répondrai : à cause des doigts. .
Je ne suis pas sûr que l’explication soit absolument sans faille – on n’associe que très exceptionnellement artichaut et chou à la crème, pour ne prendre que ces deux aliments mangés avec les doigts – mais quand même : au restaurant, quand vous commandez une moule-frites – c’est la formule convenue – on vous donne une toute petite serviette synthétique citronnée pliée et fermée dans un emballage dont l’ouverture est aussi simple que celle d’une boîte de sardines dont l’anneau vient de se casser après vous avoir décollé l’ongle du pouce, alors qu’on ne vous en donne pas lorsque vous commandez un artichaut, pour la raison qu’on ne sert jamais d’artichauts dans les restaurants, sinon des « fonds » qu’on mange normalement avec des couverts, donc pas avec les doigts, alors pourquoi voudriez-vous qu’on vous donne une petite serviette citronnée ? Franchement !
C’était une introduction.
Il y a huit jours, nous étions invités chez nos amis belges pour « un moule-frite » – eux, disent « houit jours », parce qu’ils ne savent (dans le sens belge) pas dire huit. Nous avons tous nos limites.
Par exemple : les Belges, pas seulement nos amis qui vivent dans les Cévennes, mais ceux de Belgique, sont beaucoup plus robustes que nous, Français : ils sont capables de résister deux ans sans gouvernement, alors que nous avons vécu dans une angoisse sans nom l’attente insupportable d’une annonce d’un seul complément de gouvernement – qu’eût-ce été si c’eût été le gouvernement tout entier ! – qui n’en finissait pas d’être annoncé pour aujourd’hui.
Aujourd’hui fut hier.
Dans l’aujourd’hui d’aujourd’hui, nous allons de ce pas fêter cette nouvelle avec ces amis belges au café où nous avons l’habitude de boire sur les coups de 11 h 00 un « petit blanc » – petit n’ayant rien à voir avec la taille mais avec la connotation affective qu’on trouve dans « petit noir » quand il s’agit du café bu quelques heures avant, ou « petit ami », blanc ou noir, peu importe et peu importe l’heure. »….
J’en étais là et je prévoyais de me lancer dans une longue dissertation sur cet événement considérable après ce rituel amical du petit blanc. Parfois des petits blancs.
Et puis, à peine rentré, j’apprends la mort de Robert Badinter.
Maintenant, c’est après.
Alors, j’interromps le journal inscrit dans le temps pour commencer un article sur celui qui vient d’en sortir.