« Une instagrameuse jugée pour apologie du terrorisme »

Tel est le titre d’un article du Monde (23/11/2023) relatant l’audience du procès intenté à une femme de 37 ans qui publie via Instagram (d’où le beau néologisme « instragrameuse ») des vidéos.

« Dans la vie, Warda A., 37 ans, est mère de deux enfants et vit séparée de leur père. Elle a grandi à Djibouti, est arrivée en France à 13 ans, a arrêté tôt l’école, a travaillé un temps comme hôtesse « dans l’événementiel » avant d’ouvrir un site de revente de vêtements en ligne. Toujours très apprêtée, elle se met régulièrement en scène dans des « stories » sur son compte Instagram, pour raconter sa vie, ses recettes de cuisine et donner son avis sur « les sujets de société » à ses 9 840 followers. »

La « storie » qui lui est reprochée : « Moi, il y a quelque chose qui me turlupine. Je vais vous donner le fond de ma pensée. A chaque fois que je tombe sur l’histoire du bébé qui a été mis dans le four [lors des attentats du Hamas le 7 octobre en Israël], je me pose la question s’ils ont mis du sel, du poivre (…), du thym ? S’ils l’ont fait revenir à quoi ? »

L’article fait état d’une autre vidéo où « elle tient à partager son émotion après avoir vu sur les réseaux sociaux les images de l’enlèvement d’une jeune Israélienne par le Hamas. « Quand je vois un être humain souffrir, ça me détruit. Restez dans le juste. Il y a des bons et des mauvais partout. Ne rentrez pas dans la haine. »

Le procureur a requis dix mois d’emprisonnement avec sursis.

Quelques réactions 

« Ça donne une meilleure idée du quotient intellectuel moyen de ceux qui soutiennent le terrorisme. »

« Si cette fille est condamnée, cela montrera bien que la France n’est plus une vraie démocratie. Il s’agit complétement de la chasse aux sorcières. (…) Elle devrait avoir le droit de dire son opinion. Franchement, c’est la base de la base de la liberté d’opinion et d’expression. Elle n’a pas soutenu le terrorisme, ni dit aucun propos antisémite dans ces mots. C’est-à-dire, elle n’a commise aucun délit. Peut-être serait moi-même envoyé en prison pour ce commentaire ? Comme ça, on aura une France unie et unanime, pro-Israël, et gouvernée par l’extrême-droite. ça sera beau non ? Un retour aux temps des croisades. »

« Il faut condamner avec la plus grande sévérité. Toucher au portefeuille avec des amendes énormes les réseaux qui publient ce genre de choses. Peut-être limiter l’accès aux réseau sociaux. »

« Discuter ( et avec quelle subtilité ) sur un bébé assassiné est donc devenu de l’humour pour les avocats de la défense ? Ou en est-on rendu ? »

Ma contribution :

L’humour (cf. Bergson) consiste à décrire le réel (surtout quand il est désolant) comme si c’était un idéal. Ex : un prof rappelle à ses élèves qu’un travail écrit doit être personnel et correctement orthographié (idéal). Les élèves rendent des copiés-collés rédigés n’importe comment (réel). Humour : c’est très bien, vous vous êtes tous consciencieusement appliqués à copier vos travaux que vous avez pris soin d’écrire de manière parfaitement illisible. Travaux pratiques : traitez sur le mode de l’humour la fausse information (c’est apparemment ce dont est convaincue celle qui est accusée) d’un bébé israélien brûlé dans un four par les attaquants du Hamas.

P.S. Pour être perçu comme tel, l’humour doit, dans un contexte déterminé, se préoccuper du public auquel il s’adresse et qui doit partager les mêmes codes. (cf. le sketch de G. Bedos : « Marrakech, ça nous a déçus, c’est plein d’Arabes ! »)

*J’ajoute que je ne vois pas très bien le bien-fondé de l’accusation d »apologie du terrorisme », et que la réquisition de dix mois de prison, même avec sursis, est pour moi non seulement l’expression d’un parti pris, mais surtout le signe d’une inquiétante aberration.

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