L’attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre Israël est systématiquement qualifiée de terroriste.
J’ai souvent expliqué ici en quoi terrorisme/terroriste était une étiquette qui exclut l’analyse : elle colle sur des actes et des personnes une signification qui n’est pas revendiquée comme telle par les acteurs, mais qui est celle projetée par les colleurs d’étiquette.
En d’autres termes, j’appelle terrorisme un acte qui me terrorise en ce sens que je serais terrorisé d’être celui qui l’accomplit. De là, le qualificatif « inhumain » appliqué à un acte criminel, bien que, de toutes les espèces vivantes, l’homme soit le seul capable de l’accomplir, et « crime contre l’humanité » pour désigner un acte qui est en réalité le crime le plus emblématique « de » l’humanité.
Répandre la terreur, tel est l’objectif prêté à celui qui commet un acte dit terroriste… et qu’il ne répand pas : s’il provoque, entre autres, la sidération, il ne conduit pas à vivre dans la terreur : le moment passé, la vie reprend et continue comme avant.
Il en va tout autrement de la terreur d’Etat institutionnalisée par un pouvoir dictatorial, totalitaire, qui a pour but et pour effet d’être terrorisante, donc de contraindre à vivre dans la peur quotidienne de l’arrestation, de l’incarcération, de la torture, de la mort.
Et pourtant, un Etat qui institutionnaliste la terreur n’est pas appelé terroriste. Autrement dit, terrorisme est utilisé pour des actes de groupes ou d’individus qui ne répandent pas la terreur, et non utilisé pour la terreur d’Etat qui, elle, la répand. Ainsi, ceux qui luttaient contre le nazisme et l’occupant étaient appelés terroristes par les nazis et le gouvernement de Vichy, mais pas par la France Libre installée à Londres qui les reconnaissait comme résistants, s’employait à les organiser et leur envoyait des armes.
L’action du Hamas peut-elle être qualifiée de résistance comme le dit une députée de la France Insoumise qui refuse de qualifier de terroriste ce mouvement ?
Résistance suppose une situation d’occupation, d’oppression. Avant le 7 octobre, s’il y a un territoire palestinien occupé par Israël, c’est celui de la Cisjordanie dont l’administration palestinienne est assurée non par le Hamas mais par l’Autorité Palestinienne… en conflit avec le Hamas qui administre la bande de Gaza, non occupée mais soumise à un blocus.
Par-delà le conflit entre l’ Autorité Palestinienne et le Hamas, et par-delà les frontières locales et internationales, les Palestiniens – dont le Hezbollah implanté dans le sud Liban près de la frontière nord d’Israël – sont partagés entre l’une et l’autre.
A l’origine de cet imbroglio, les paramètres de violence qui ont été ceux de la création de l’Etat d’Israël et l’enchaînement consécutif des actions/réactions qui se suivent et se nourrissent depuis quatre-vingts ans.
Créé en 1987, le Hamas qui se définit comme un mouvement de résistance islamiste (c’est le sens du mot Hamas) est reconnu comme tel par les Palestiniens qui le soutiennent. Il se réclame d’une charte (publiée en 1988) islamiste radicale, théocratique, totalitaire, antisémite et qui a pour objectif la suppression d’Israël (même si les ajouts de 2017 apportent des nuances par ailleurs très discutées).
Est-ce que reconnaître le statut qu’il revendique (la résistance) revient à approuver sa charte ?
Autrement dit, est-ce que la résistance est définie par les objectifs de la lutte ou par la situation objective ?
Les objectifs des résistants français des années 40 n’étaient pas les mêmes selon qu’ils étaient de droite, d’extrême-droite, de gauche, d’extrême-gauche, anarchistes, athées, croyants, voire antisémites.
Ce qui les constituait en tant que résistants n’était donc pas les objectifs, mais la situation objective, à savoir l’occupation du territoire qu’ils étaient d’accord pour libérer.
Ceux qui leur refusaient ce qualificatif et les nommaient terroristes étaient les nazis et leurs soutiens, ceux qui le leur reconnaissaient était les ennemis des nazis et dont les objectifs pouvaient également être différents (USA/URSS).
Ce qui – outre la charte – complique la problématique « résistance » pour le Hamas est le contenu de l’attaque du 7 octobre, en particulier les crimes de tous ordres commis dans des conditions d’abomination contre des civils (dont des femmes, de enfants, des personnes âgées), et la prise d’otages – la question ne se poserait pas si les attaquants s’en étaient pris aux seuls militaires israéliens.
Ce qui ressort d’enregistrements audio-vidéo retrouvés sur les corps des Palestiniens équipés de caméras et tués pendant l’attaque, c’est la haine des juifs et le besoin compulsif d’en tuer le plus possible. Dans une tribune publiée dans Le Monde du 26/10/023, Raphaël Glucksmann (député européen – du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates – qui refuse au Hamas le statut de résistants et le qualifie de terroriste), rapporte les propos d’un attaquant du Hamas téléphonant à son père « Tu serais fier de moi, j’ai tué dix juifs ! Dix ! »
Et il introduit la citation par cette réflexion : « Le résistant peut être amené à tuer, mais il le fait à contre-cœur, alors que le terroriste jouit de son crime (…) »
Compte-tenu des conditions dans lesquelles peuvent et doivent être ouverts sinon brisés les verrous d’interdiction de tuer, je ne suis pas certain que la résistance ait été et soit toujours antinomique de cette jouissance. Dans un processus analogue à l’application de « terrorisme », Raphaël Glusksmann projette dans la psychologie du résistant type ses propres critères en s’imaginant dans une situation fictive de résistance.
Je préfère de loin la tribune de Sophie Bessis – politiste et historienne – publiée dans Le Monde du 25/10/2023, dans laquelle elle souligne l’importance de comprendre que l’extrémisme – en l’occurrence le Hamas – naît et se développe quand le colonisateur refuse de négocier avec les responsables des luttes de libération et qu’il favorise directement ou non ce qu’on appellera ensuite le terrorisme.
La polémique « résistance » ou « terrorisme » pour le Hamas est vaine en ce sens qu’elle occulte l’essentiel, à savoir la coresponsabilité objective des Israéliens, des Palestiniens et de leurs soutiens respectifs, dont le déni alimente les exactions et les crimes des uns et des autres qui servent ensuite à alimenter les passions de tous ordres et ainsi de suite.
Les bombardements alliés qui ont pratiquement détruit Dresde en février 1945 en tuant des dizaines de milliers de civils – les nazis s’en servirent comme argument de propagande – et la bombe lancée sur Hiroshima en août de la même année, sont perçus comme quel type d’actes – pour m’en tenir à la seule situation physique – selon que l’on est au sol ou dans les avions ?
La proposition d’E. Macron d’élargir au Hamas la lutte contre Daesh est irresponsable : elle ne peut qu’exacerber la rancœur et la haine des Palestiniens de Cisjordanie soumis à l’occupation d’Israël qui décide unilatéralement de leur droit à travailler et à se déplacer, et qui, en violation des résolutions de l’ONU, continue à chasser les habitants palestiniens pour implanter des colonies.
Cet Etat israélien gouverné par une alliance de droite, d’extrême-droite et d’extrémistes religieux, n’est jamais qualifié de terroriste, et le « droit de se défendre » contre le terrorisme, proclamé par les chefs d’Etat occidentaux qui viennent serrer la main de B. Netanyahou dont on connaît son respect du droit et de l’indépendance de la justice, lui confère le statut de résistant.
Cette perversion des dits et des non-dits est la mèche allumée d’une bombe à retardement.