Une fois encore la dichotomie que crée la confrontation entre les affects des images et la pensée du processus. D’un côté des personnes tuées, enlevées, de l’autre, sauf à se satisfaire de simplismes équivalents à ceux des extrémistes israéliens et palestiniens, ce qui conduit d’autres personnes à commettre de tels actes.
Dichotomie personnifiée par les deux invités des Matins de France Culture du 09/10/2023 ( 7 h 40 / 8 h 20) avec, pour la dimension affects, Alain Dieckhoff, Directeur du CERI-Sciences Po, directeur de recherche au CNRS, et, pour la dimension pensée/analyse, Laetitia Bucaille, professeure de sociologie et vice-présidente l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) chercheuse au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA).
Je ne vois, en bout d’explication, que la situation de désespérance où le « plus rien à perdre » ne se satisfait plus des mots mais exige le passage à l’acte.
En témoigne, dans cette même émission, l’interview diffusée au cours du journal de 7 h 00 de la même émission, réalisée à Gaza par un journaliste de Radio France Internationale.
Ahmed, 32 ans, vit à Gaza où il est né : « Israël a colonisé notre terre, les Israéliens ont contraint une partie de notre peuple palestinien à l’exil, une autre partie vit marginalisée, l’autre partie vit ici, à Gaza, sous blocus. On vit comme des bêtes, certains d’entre nous sont devenus des monstres et lorsque ces monstres s’attaquent à leur créateur on se demande pourquoi. Ensuite ils nous qualifient de terroristes, tueurs d’enfants et de civils. L’Etat hébreu est responsable de toutes les victimes innocentes palestiniennes, israéliennes. C’est l’occupation et l’injustice qui génèrent toutes ces violences. Ils disent que la terre n’appartient pas aux Palestiniens, que c’est la terre sacrée des enfants d’Israël, que Dieu lui-même leur a ordonné d’y vivre. Et nous alors, on est bon à jeter ? On ne pourrait pas tous vivre ensemble en paix ? Même s’ils veulent être au pouvoir, on l’accepte, on veut seulement les mêmes droits pour tous. Cette tragédie que vient de vivre Israël, c’est notre quotidien à Gaza. »
La séparation du territoire de Gaza (365 kms2) de la Cisjordanie est sur le plan géopolitique une aberration significative de l’irresponsabilité collective qui a prévalu lors de la constitution d’Israël et dont les effets, quatre-vingts ans plus tard, sont un enchevêtrement d’actions et de réactions considérées, selon les points de vue comme des causes ou des conséquences.
Les commentateurs s’accordent pour dire que les soldats israéliens n’étaient pas à l’endroit où sont passés les assaillants du Hamas parce qu’ils étaient déployés en Cisjordanie (territoire théoriquement sous l’autorité palestinienne) pour protéger les nouvelles colonies installées en violation des droits des habitants palestiniens et dans une violence bien documentée qui ne donne pas lieu à de grandes protestations occidentales.
Autrement dit une politique dictée, et surtout aujourd’hui, par la loi du plus fort dont on sait qu’elle engendre nécessairement dans un processus long et souterrain des forces équivalentes de contradiction.
Les noms donnés à l’une et à l’autre forces ne sont pas anodins : Eli Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, intitule son article publié dans Le Monde (10/10/2023) : « L’attaque du Hamas résulte de la conjonction d’une organisation islamiste fanatique et d’une politique israélienne imbécile »
Fanatisme d’un côté, imbécillité de l’autre… Est-ce que l’ « imbécillité » du gouvernement de B. Netanyahou allié avec les extrémistes religieux n’aurait pas à voir avec le fanatisme ?
Chaque entité, Israël, Palestine, est divisée, soumise à des conflits internes. Aujourd’hui, le gouvernement israéliens est dirigé par un homme mis en examen par la justice de son propre pays et qui tente de modifier la loi à son profit, allié avec un parti religieux extrémiste.
L’Autorité palestinienne du Fatah, discréditée, a perdu les élections législatives de 2006 gagnées par le Hamas et s’est maintenu au pouvoir par des manœuvres qui ont contribué à l’affaiblir et à renforcer l’extrémisme religieux et politique.
L’assassinat d’Yitshak Rabin, le 4 novembre 1995, par un extrémiste religieux israélien hostile aux accords d’Oslo (septembre 1993) – premier pas d’une voie de règlement politique – fut le signe de ce qui semble être désormais un impossible pérenne, comme si les hommes avaient besoin de conflits permanents pour se persuader de la vanité des croyances qui tentent de donner un sens à la vie.