Il y a un an, dans l’article daté du 16 août 2022, je rappelais qu’un imprévu arrive sans avoir prévenu, parfois même le 13 août. C’est son propre, comme le rire est celui de l’homme, même si en l’occurrence le rire n’était pas à l’ordre du jour.
C’était à Ballyvaughan, petit port du comté de Clare, dans un cottage.
Hum… Bizarre, cette impression de début de roman de 19ème siècle…
Bref, la question que je me suis posée après la survenue intempestive de cet imprévu, s’inscrit dans une démarche de type cartésien,
Je savais que si la pensée signifie l’être – le fait d’être, si vous préférez – elle ne garantit évidemment pas le bien-être qui, comme le mal-être, n’est qu’un constituant de ce fait d’être qui n’est en soi ni bien ni mal puisqu’il se contente d’être.
Vous suivez ?
Donc, est-ce que l’imprévu du 13 août 2022 se manifesterait à nouveau le 13 août 2023 ?
Cette question – j’avais prévenu, on est dans du rationnel pur, le noyau dur de la pensée – touche l’essence même de l’imprévu.
Suivez bien.
Si cet imprévu se manifestait à nouveau le 13 août 2023, il cesserait d’être un imprévu puisqu’un imprévu prévu et attendu cesse d’être.
Vous suivez ou vous voulez que je répète ? Non ? Ça va ?
Bon. Donc, si cet imprévu existe, il pense, puisque la preuve de l’existence de l’être réside dans la pensée. Et s’il pense, il ne peut pas se manifester le 13 août 2023 pour la raison (voir juste au-dessus) que s’il se manifeste à cette date attendue, il cesse d’exister.
Vous suivez toujours ?
J’ai quand même attendu le 13 avec une certaine impatience et non sans une certaine inquiétude d’un genre qui balance entre le physique organique et la métaphysique.
C’est à Fanore, petit village du Burren près de Ballyvaughan, dans un cottage au bord de l’océan….
Hum… Et encore cette même impression de début de roman de 19ème siècle !
Nous avons loué le cottage à partir du 12, le temps de nous préparer à l’imprévu dont je ne redirai pas la dimension existentielle de la contradiction qu’il devrait résoudre, pour ne pas dire le pétrin dans lequel il se mettrait, s’il pointait son nez le 13.
Ce jour-là, la vie irlandaise caractéristique de ce coin du Burren s’est déroulée normalement : à gauche de la maison, la montagne est restée couchée comme un gros animal préhistorique endormi, juste devant, les lapins ont couru dans tout les sens dans le pré et sur le chemin, au loin, les trois îles d’Aran sont restées alignées bien à leur place, à droite, l’océan a consciencieusement brisé ses vagues sur les rochers, au-dessus, le ciel a joué ses variations habituelles de nuages, de pluie, de soleil et de vent, et à l’intérieur, les huîtres se sont révélées excellentes, le chardonnay du Chili aussi.
Aucun imprévu ne s’est manifesté, si ce n’est trois chevaux – apparemment le père, la mère et le poulain – venus tourner autour de la maison en hochant ostensiblement la tête. Les recherches que j’ai entreprises ne font état d’aucun lien entre des chevaux et l’imprévu dont il est question.
Alors, de deux choses, l’une : ou bien l’absence de l’imprévu à la date du 13 est le signe de son existence, et il guette un nouveau créneau pour se manifester, ou bien elle est le signe de sa disparition, dans le genre trois petits tours et puis s’en vont – lui n’aurait fait qu’un tour qui aurait suffi à le satisfaire.
Comme il n’existe aucun moyen de savoir quelle hypothèse est la bonne – l’imprévu se caractérise aussi par le mutisme – j’ai donc décidé d’utiliser le seul moyen efficace : la pensée.
Il me suffit en effet de penser à la survenue de l’imprévu pour lui ôter toute possibilité de survenir en tant qu’imprévu : s’il arrive, il sera tout, sauf un imprévu.
Vous voyez ?
En tout cas, moi, si j’étais un imprévu, je déciderais de ne pas arriver dans de telles conditions qui ôtent ma raison d’être.
Nous sommes le 15 août, le ciel est bleu, il y a quelques nuages au-dessus de la montagne du Burren, les lapins courent dans le pré, l’océan est calme.
Nous n’avons rien prévu pour aujourd’hui.