Colonialisme : esquisse d’un dialogue

« L’universitaire Philippe Colin détaille, dans un entretien au « Monde », le fonctionnement propre du colonialisme, notamment autour de l’idée de « colonialité ». (Le Monde – 30/06/2023)

Ma contribution :

Il y a deux problèmes :

1° la violence spécifique du pouvoir, propre à l’homme et qui est donc commune.

2° la conquête de l’autre et sa soumission au nom d’une vérité relative présentée comme absolue, autrement dit le colonialisme appuyé sur le racisme dont l’Europe puis les USA sont les acteurs majeurs.

Ceux qui n’ont pas envie d’examiner le 2 font semblant d’ignorer cette distinction et le confondent avec le 1 pour tenter d’évacuer le problème spécifique de la colonisation… quitte à s’étonner ensuite de l’émergence d’un discours de contestation sur lequel ils collent l’étiquette dépréciative « wokisme » pour détourner l’attention.

 Réponse du contributeur  « Mena House » :

« Mais pourquoi la « colonialité » affecterait-elle les seules sociétés occidentales, qui ont rompu avec l’héritage colonial et développé un universel concret dans le monde social qui attire des migrants du monde entier, au-delà de leurs anciennes colonies ? Qu’en est-il de la colonisation propre à l’Islam qui a également généré, par le biais d’un esclavage massif de longue durée et des représentations qui lui sont associées, une question de la « race » dans les sociétés concernées ? Certains intellectuels arabophones (K Daoud, B Sansal) ou des historiens comme Tidiane N’Diaye s’en sont fait l’écho mais ces voix sont bien isolées, y compris en Occident où cette question est devenue obsessionnelle dans le débat public. Il semble que la problématique « contestatrice » que vous évoquez obéisse à une autre logique que celle de la simple reconnaissance. ».

Ma réponse :

La différence entre les colonialismes islamique et chrétien ne concerne pas le principe d’absolutisme qui les caractérise l’un et l’autre mais la dimension économique, souvent masquée, qui lui donne une dimension plus hégémonique et durable, notamment après la décolonisation politique et les indépendances (cf. les soutiens aux régimes dictatoriaux).

2ème réponse de Mona House :  

« Je ne nie pas l’existence d’1 néo-colonialisme au-delà des indépendances mais ce n’est pas ce dont il s’agit avec la « colonialité » qui fait remonter à 1492 la superposition dans les sociétés occidentales d’une domination raciale et sociale. Cette « matrice coloniale » caractérise-t-elle nos sociétés depuis 6 siècles? Non. Le sociétés européennes ne connaissaient pas l’esclavage s/leur sol en-dehors de leurs colonies d’Outre-mer. La dynamique du capitalisme y renvoie à une structure de classe. La racialisation du social par les indigénistes et décoloniaux impose une lecture falsifiée de nos sociétés qui procède par forçage en assimilant l’immigration extra-européenne, facilitée par la mondialisation néo-libérale, à l’exploitation coloniale. A partir de l’expérience des sociétés d’outre-Atlan. le wokisme a défini l’identité des individus de façon systématique et unilatérale par leur appartenance à des « communautés » basées sur des propriétés figées dont les individus ne sont pas responsables. »

Ma 2ème réponse

 « Les sociétés européennes ne connaissaient pas l’esclavage s/leur sol en-dehors de leurs colonies d’Outre-mer ». Pensez-vous que ce soit déterminant quant au racisme et aux discriminations liées à la couleur de la peau, par exemple ? (cf. « Des cannibales » des Essais de Montaigne et le « Comment peut-on être persan ? » de Montesquieu). Connaissez-vous des sociétés « noires » qui aient organisé l’esclavage de populations blanches ? Depuis des siècles, l’Histoire a inscrit dans le conscient et l’inconscient individuel et collectif des critères de hiérarchie (hors problématique de classes dans les formes du capitalisme moderne) théorisés, qui sont toujours actifs notamment parce que nous n’avons toujours pas décidé de reconnaître leur vanité en même temps que celle des présupposés qui ont conduit à l’esclavage et à la colonisation. Tant que ce travail n’aura pas été fait, il y aura des démesures dans la protestation qu’autorisent la pérennité du racisme et les dénis de responsabilités.

                                                                                                                                                                        —-

Mona House n’a pas poursuivi, peut-être parce qu’il ou elle avait utilisé son quota de réponses possibles.

Les contributeurs critiques de la problématique construite par l’article  ressassent la même rengaine,  à savoir que la question du colonialisme est réglée et qu’elle est récupérée à la fois par ce qu’ils appellent le wokisme et par les marxistes orphelins depuis la chute de l’URSS – même si ceux-ci ne sont pas d’accord avec ceux-là.  

Mona House a finalement répondu :

Sa 3ème et dernière réponse possible :

Vous présentez comme « toujours actifs » des « critères de hiérarchie » théorisés à l’époque de l’expansion coloniale « parce que nous n’avons toujours pas décidé de reconnaître leur vanité ». Vous niez superbement tout le travail critique effectué dans la douleur (comme toute œuvre vraie) par les sociétés occidentales sur elles-mêmes et dont témoignent, par ex, les programmes scolaire de l’Education nationale depuis 40 ans…Par ailleurs, ces « critères » existent aussi dans les sociétés arabo-musulmanes de façon très prégnante dans les mots, les mœurs et l’imaginaire collectif (comme la Tunisie de M Saied nous l’a récemment rappelé). Or, la doxa antiraciste des décoloniaux ne vise que l’Occident qui a le plus travaillé à déconstruire ses préjugés sur l’altérité, leurs conséquences criminelles, et à bâtir un universel concret. Cette fixation polémique nourrit un identarisme assignant l’individu à sa « communauté » d’appartenance, voire à un statut de victime quels que soient ses actes!

Idem, pour moi.

 Le 1° de ma contribution répond à une partie de votre critique. Le travail dont je parle concerne la société occidentale pour les raisons historiques que j’ai exposées et il n’occulte pas ce qui est entrepris, notamment dans l’EN que je connais bien. Ce qui manque (cf. la persistance du racisme, hic et nunc) est la décision politique d’un travail commun, collectif, initié par le pouvoir exécutif, sur le racisme et son exploitation par le pouvoir politique depuis des siècles, pour la justification idéologique/religieuse du colonialisme. Il ne s’agit ni de culpabilisation ni de repentance mais d’un travail qui incite à comprendre pourquoi l’homme, principalement occidental, a été capable d’exterminer des peuples pour une appropriation recouverte entre autres par le manteau de la civilisation chrétienne : tel est le réel. Il y a 1° un problème intrinsèque de l’homme, où qu’il soit, quel qu’il soit 2° de l’homme occidental en particulier. On ne se sortira pas des démesures sans cela.

Laisser un commentaire