Toujours et encore la peine de mort

A l’approche de la fin de la présidence Trump, les exécutions fédérales s’accélèrent. Si la tradition veut que le gouvernement s’abstienne d’appliquer la peine de mort pendant le passage de flambeau entre le président sortant et son successeur, Donald Trump fait une nouvelle fois exception. Quatre exécutions sont prévues avant le 20 janvier par le ministère de la justice, une première depuis 1889. » (A la Une – Le Monde du 11/12/2020)

Si la majorité des contributions publiées à la suite de l’article est hostile à la peine de mort et aux exécutions, certaines sont partisanes de l’une et approuvent  les autres, comme celles-ci :

« C’est peut-être la moins stupide des décisions prises par Trump en 4 ans… Je ne connais pas les cas en détail, mais finalement sur le principe pourquoi rejeter la peine de mort quand la prison a vie est un châtiment tout aussi inhumain et certainement beaucoup plus coûteux pour l’Etat. »

« Oui, surtout que le cas n’est pas piqué des hannetons. Le jeune criminel a assassiné un couple de pasteurs, rien que ça, qu’il a fait flamber dans leur voiture. Mais comment donc. »

« Si Trump laisse faire les exécutions c’est que cela correspond aux aspirations de sa base. Tous les américains ne sont pas opposés à la peine de mort. Dans tous les cas qui défilent rapidement dans cet article on peut difficilement se faire une idée sur la justification des peines prononcées. Il y a certains cas où cela se justifie peut être. Quand on voit Fourniret chez nous ? Que voulez-vous faire d’un type pareil ? »

« Brandon Bernard a quand même exécuté sa victime en la brûlant vive dans une voiture: c’est un crime horrible. Cette femme est morte d’asphyxie comme toutes les personnes qui sont brûlées vives: le feu absorbe tout l’oxygène autour et la victime meurt d’abord d’asphyxie avant d’être brûlée vive. C’est une mort horrible, lente, moyenâgeuse. Qui plus est enfermée dans le coffre d’une voiture. »
« Je comprends que le journalisme n’aime pas Trump, mais cet assassin a commis un meurtre horrible de sang-froid. »

« Si c’était votre maman ou votre sœur brûlée vive, lentement, dans cette voiture, sans que l’assassin n’ait un quelconque remord et vienne la délivrer, que penseriez-vous des mots employés dans cet article qui minimise ce crime odieux ? » 

« Pourquoi un deuxième long article pour un non-événement ? Pourquoi l’exécution d’une peine devrait-elle être repoussée à l’accession d’un nouveau président ? La justice n’est-elle pas supposée être indépendante ? Vivement que la peine de mort soit rétablie en France ! »

«  « Arbitraire cynique » contre un homme ayant assassiné sa fillette de 2 ans?
Franchement, ces exécutions, ce n’est pas ce que je reprocherai à Trump. Ces gens condamnés n’ont eu aucune pitié, ils ne méritent pas la nôtre. »

« Quand on voit les crimes commis par ces condamnés, on se demande qui peut bien demander leur grâce et organiser leur comité de soutien… »

« Les victimes et leurs entourages ne regretteront pas ces décisions avant tout de  justice. Pardon Mr BADINTER : l’abolitionnisme relève de la seule conscience individuelle. La question ne se pose plus en France : est-ce mieux, est-ce pire ? Et si nous réservions la peine à ceux qui se sont volontairement retranchés de l’humanité ? »

« Franchement la vie de ces horribles personnes n’est pas importante, a part couter un max a la société…genre Fourniret… »

Par ailleurs :

Selon un sondage publié en septembre 2020 par le Parisien :

> 55% des interrogés sont favorables au rétablissement  de la peine de mort.

> 85% des partisans du RN, 71% du LR, forte progression (+31%) chez ceux de LFI et du PCF.

>  catégories : ouvriers 68%, employés 60%, retraités 55%

Dans le même sondage : 82% des français pensent qu’ « on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre » avec la même répartition politique que pour le rétablissement de la peine de mort.

Ce n’est pas sans rapport.

                                                                  *

Deux problèmes :

1 – celui de la loi : aux USA, hors crime fédéral, ce sont les Etats qui décident ; vingt-deux ont aboli la peine de mort, les autres exécutent (le Texas en tête) ou installent des moratoires. La Chine est le n°1 des pays exécuteurs, le n° 2 est l’Iran, où un opposant vient d’être pendu (dans l’accusation figure « crime contre Dieu »…).

2 – celui du principe normatif qui donne lieu à des débats sans fin (cf. les contributions et les sondages) parce que la peine de mort est la partie sensible, émotionnelle de la question de la spécificité humaine, question très rarement (jamais ?) abordée, d’où le recours inadéquat au concept d’inhumanité pour qualifier et « expliquer » les crimes.

Les deux problèmes sont liés : ce qui conduit à l’abrogation est généralement appuyé sur des sentiments, des  « valeurs » morales, humanistes ou religieuses, peu importe, auxquelles s’opposent inévitablement d’autres sentiments, d’autres valeurs, de même intensité, invoquées pour le rétablissement de la peine capitale…

Un assourdissant dialogue de sourds.

Si le législateur n’a pas résolu le problème n°2 en votant l’abrogation, c’est parce que son discours n’a été que celui d’un « moment ». Ce fut le cas en septembre 1981, en France.

Il serait tout fait possible de dire, comme certains intervenants : « Après tout, qu’importe qu’un homme ou une femme criminels soient mis à mort ? Pourquoi s’en préoccuper ? ».

Oui… Mais pourquoi cet « après-tout » ne suffit-il pas à régler le problème ?

Qu’est-ce qui ne permet pas de parvenir à un consensus, dans un sens ou dans l’autre ?

Si l’on préfère : qu’est-ce qui empêche que le problème ne se pose plus ? Ou encore, vu sous un autre angle, qu’est-ce qui permet de présenter la peine de mort comme un acte d’humanité en comparaison de la prison perpétuelle ?

Si on s’appuie sur la raison, qu’est-ce que ça peut donner ?

1° tout crime ne peut être qu’humain,

2° la « loi du talion » est celle de la société primitive, celle qui ne dispose pas des outils de compréhension du crime, ou, si l’on veut, qui n’est pas prête à les utiliser. Dans la mesure où elle établit que la mort instituée exorcise ou annule la mort accidentelle ou voulue par un de ses membres, elle établit que son auteur est une entité indissociable, à la fois responsable et coupable.

3 ° le tribunal moderne qui établit des échelles de responsabilités est la négation de la loi du talion.

4° la loi qui établit la peine de mort est donc contradictoire avec ce tribunal puisqu’en présupposant la responsabilité totale du criminel, elle appartient à la loi du talion. 

5° il est également contradictoire de proposer une peine de substitution à la mort, une « perpétuité » qui n’est qu’une métaphore de l’entité de la loi du talion.

6° il faut donc déterminer la peine non par rapport au rejet de la peine de mort (non expliquée mais refoulée), donc non par défaut mais par rapport à l’humanité du juge et du criminel.

Une manière toute personnelle de dire qu’il  n’est besoin ni de peine capitale, ni de chef.

3 commentaires sur « Toujours et encore la peine de mort »

  1. Aux Etats-Unis on exécute des condamnés qui ont commis un crime alors qu’ils étaient mineurs (Brandon Bernard exécuté avant hier avait 18 ans lorsqu’il a été condamné). On exécute aussi des handicapés mentaux (Bill Clinton abandonna sa campagne électorale en 1992 pour rentrer en Arkansas présider à l’exécution de Ricky Ray Rector qui termina son dernier repas en demandant à ce qu’on lui garde le dessert pour plus tard). Tous ont en commun leur couleur de peau. En1980, une majorité de condamnés à mort étaient blancs (54.4%). En juillet 2019, 57.8% étaient Africain-Américains et Hispaniques. La Cour Suprême a refusé de gracier B. Bernard. Les quatre juges conservateurs dont la très pieuse Coney Barrett (qui s’oppose à l’avortement) ont emporté la décision contre les trois autres libéraux. Sans surprise Trump descendra dans l’abjection jusqu’au bout.

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    1. Merci pour ces tristes précisions. Nous souhaiter mutuellement, Américains et Français, une année nouvelle, vraiment nouvelle, ne sera pas qu’une simple formule. Nous lèverons notre verre de champagne, ici, en pensant à vous, là-bas, si loin et si proches.

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